jeudi 15 juin 2017

Des gouttes de lumière



Paul de Pignol 




1 - Archipels 

A première vue, ce que donnent à voir les dessins de Paul de Pignol, pourraient être des constellations, myriades de petits ronds noirs, gris, blancs qui semblent flotter dans la page et l’envahissent selon un mouvement centripète ou centrifuge. On pourrait donc croire à un ciel étoilé, aux escarbilles d’un grand feu dans la nuit, ou, changeant de focale, envisager une vue macroscopique d’un organisme cellulaire… Il y aurait donc ici l’exploration d’un territoire qui, selon la distance ou le point de vue que l’on adopte, aurait à voir avec la matérialisation du principe Pascalien.  

Pourtant, il ne s’agit - et les titres des travaux le confirment - que du résultat d’une perception rapide et trompeuse. Comme pour un regard qui, peu à peu, s’habituerait à l’obscurité d’une pièce, celui-ci discernera alors, par des jeux d’intervalles plus ou moins distants de ces particules, d’autres densités formant des masses et des enveloppes plus précises, dessinant les formes - certes mouvantes et presque in-décidées -  de figures : visages, poitrine ou corps entiers… Mais que l’apparence cosmique initiale s’avère être aussi une apparition plutôt humaine, n’est sans doute pas très étonnant, tant on sait, comme l’avait déjà observé Léonard de Vinci, qu’un mur couvert de taches de moisissures, un ciel nuageux, pouvaient être la promesse de plusieurs figurations. 

Le processus utilisé, pour ces grands dessins monochromes, est celui d’un poudroiement de graphite appliqué d’abord de façon plus ou moins régulière par tamponnages sur la surface du papier, formant des nappes sombres, mais pas totalement opaques, sur lesquelles des retraits de matière sont produits ensuite par gommages ponctuels et circulaires, faisant ainsi remonter la zone claire du support.
Ce principe de clair-obscur, détachant fond et forme, qui induit par là même une profondeur, s’inscrit évidemment dans une tradition classique de la peinture, mais n’est pas pour autant si éloigné que cela des enjeux de la photographie. On se souviendra, par exemple, autant des premières images des Pictorialistes aux textures piquetées, qui suggèrent, plus qu’elles n’affirment les sujets représentés, que cette séquence mythique du film (Blow-Up d’Antonioni où le regard est invité à plonger progressivement, vertigineusement dans l’insondable grain d’un cliché. Dans les dessins de Paul de Pignol, c’est au contraire par un lent effet de zoom arrière que se révèlent ces figures atomisées. 


On retrouvera, dans ses monotypes, cette même logique du retrait de matière qui façonne par petites particules suspendues l’aura de présences. En une suite de cinq petits formats il décline ainsi le surgissement d’un visage. Sur l’encre grasse et opaque de la plaque, à l’aide d’un coton-tige sec ou imbibé d’essence il perfore le noir pour en dégager une nébuleuse en réserve que quelques accents plus incisifs suffisent à transformer en silhouettes capitales.

Les deux questions récurrentes qui traversent les approches graphiques de Paul de Pignol sont évidemment celles de l’entre-deux entre figuration et abstraction et celle de la lumière comme moyen de cristallisation, voire de fixation, de ce jeu de balancier où la figure surgit du néant comme l’image à la surface d’une feuille argentique dans le bain du révélateur.


2 - Chère chair

Comme en négatif au principe des dessins, c’est par une accumulation de matière que s’élaborent les sculptures de Paul de Pignol. L’aspect bosselé qui constitue l’enveloppe de ses volumes est de fait composé de boules agglutinées, agglomérées qui forment ce relief plein d’aspérités où s’accroche la lumière en milliers de gouttes. Les différentes figures - car il s’agit bien encore de cela, même si certaines d’entre-elles se rapprochent plutôt de totems - ne sont pas des représentations exactes ou fidèles, mais des transpositions idéelles de corps dont quelques indices marquent le genre. Autrement dit, il est à peu près certain que ces attitudes, ces gestes, ces postures ne sont pas le résultat d’une observation directe - un modèle d’atelier par exemple - mais plutôt le résultat accepté du surgissement par l’agrégation de la matière d’une possible apparence, d’une vraisemblable présence. C’est donc à tort qu’il faudrait chercher ici à établir une analogie formelle immédiate avec les personnages de Giacometti. Ne faudrait-il pas plutôt lui préférer un rapprochement avec certaines pièces de Germaine Richier, ou les boules de Lucio Fontana ? Et encore s’il fallait quitter le domaine du volume, n’est-ce pas la peinture d’Eugène Leroy qui s’imposerait finalement ? 
Si la représentation humaine est suggérée, elle n’en n’est pas moins chargée de signes qui amplifient l’ambivalence du sujet représenté entre chair et pierre (Figure de Roche), qui opèrent une accentuation de l’animalité ou une métamorphose vers le règne végétal (Rhizomes V), voire un jeu de dramatisation des sujets (Œdipe et le sphinx, La chute de Lucrèce, Gisant…). C’est en un certain sens le rôle que semblent avoir ces lignes qui prolongent les figures, déroulant une trajectoire en une gestuelle ample, matérialisant des excroissances ou d’incertaines prothèses.

C’est en agençant, en  juxtaposant, ces minuscules sphères, formant des grappes, que Paul de Pignol provoque l’apparence d’indicibles figures. Réalisées à la cire sur armatures, ces pièces originales seront, pour certaines, coulées en bronze, un bronze noir lustré, dont chacun des petits reliefs convexes qui constituent l’enveloppe visible renvoie à cet archipel de points lumineux que traduisent aussi les dessins.


L’une des sculptures, intitulée Gisant est un assemblage de deux parties en deux matériaux distincts. La cire rouge, légèrement translucide, repose sur la longueur d’une poutre en bois maculée de taches sombres : sphères et pavé dialoguent pour dire ce paquet fragile posé sur la fibre rêche et compacte. Une nature morte de fortune que l’on prendrait volontiers pour les fruits d’une récolte oubliée dans un coin de grange, mais aussi, comme son titre l’indique, celle d’un défunt allongé, préparé, pour traverser les longues ténèbres. Le raisin, le vin, la chair et le sang, un morceau de bois, la branche d’une croix…  Cette idée de corps, simple carnation sensible que le métal n’a pas encore figé, pérennisé, tient de la déposition et pourrait par une lecture plus biblique dire davantage encore. Qui parle d’incarnation ?  


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Incarnations ( dessins et scuptures) / Paul de Pignol. du 8 juin au 29 Juillet 2017. Loo&Lou Gallery Haut Marais. 20 rue Notre Dame de Nazareth, Paris 3ème / www.looandlougallery.com






 
 

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