Paul de Pignol
1 - Archipels
A première vue, ce que donnent à
voir les dessins de Paul de Pignol, pourraient être des constellations,
myriades de petits ronds noirs, gris, blancs qui semblent flotter dans la page
et l’envahissent selon un mouvement centripète ou centrifuge. On pourrait donc croire
à un ciel étoilé, aux escarbilles d’un grand feu dans la nuit, ou, changeant de
focale, envisager une vue macroscopique d’un organisme cellulaire… Il y aurait
donc ici l’exploration d’un territoire qui, selon la distance ou le point de
vue que l’on adopte, aurait à voir avec la matérialisation du principe
Pascalien.
Le processus utilisé, pour ces
grands dessins monochromes, est celui d’un poudroiement de graphite appliqué d’abord
de façon plus ou moins régulière par tamponnages sur la surface du papier,
formant des nappes sombres, mais pas totalement opaques, sur lesquelles des
retraits de matière sont produits ensuite par gommages ponctuels et circulaires,
faisant ainsi remonter la zone claire du support.
Ce principe de clair-obscur, détachant
fond et forme, qui induit par là même une profondeur, s’inscrit évidemment dans
une tradition classique de la peinture, mais n’est pas pour autant si éloigné
que cela des enjeux de la photographie. On se souviendra, par exemple, autant des
premières images des Pictorialistes aux textures piquetées, qui suggèrent, plus
qu’elles n’affirment les sujets représentés, que cette séquence mythique du
film (Blow-Up d’Antonioni où le
regard est invité à plonger progressivement, vertigineusement dans l’insondable
grain d’un cliché. Dans les dessins de Paul de Pignol, c’est au contraire par
un lent effet de zoom arrière que se révèlent ces figures atomisées.
On retrouvera, dans ses
monotypes, cette même logique du retrait de matière qui façonne par petites
particules suspendues l’aura de présences. En une suite de cinq petits formats
il décline ainsi le surgissement d’un visage. Sur l’encre grasse et opaque de
la plaque, à l’aide d’un coton-tige sec ou imbibé d’essence il perfore le noir
pour en dégager une nébuleuse en réserve que quelques accents plus incisifs
suffisent à transformer en silhouettes capitales.
Les deux questions récurrentes
qui traversent les approches graphiques de Paul de Pignol sont évidemment
celles de l’entre-deux entre figuration et abstraction et celle de la lumière
comme moyen de cristallisation, voire de fixation, de ce jeu de balancier où la
figure surgit du néant comme l’image à la surface d’une feuille argentique dans
le bain du révélateur.
2 - Chère chair

C’est en agençant,
en juxtaposant, ces minuscules sphères, formant
des grappes, que Paul de Pignol provoque l’apparence d’indicibles figures. Réalisées
à la cire sur armatures, ces pièces originales seront, pour certaines, coulées
en bronze, un bronze noir lustré, dont chacun des petits reliefs convexes qui
constituent l’enveloppe visible renvoie à cet archipel de points lumineux que
traduisent aussi les dessins.
L’une des sculptures, intitulée Gisant est un assemblage de deux parties
en deux matériaux distincts. La cire rouge, légèrement translucide, repose sur
la longueur d’une poutre en bois maculée de taches sombres : sphères et
pavé dialoguent pour dire ce paquet fragile posé sur la fibre rêche et
compacte. Une nature morte de fortune que l’on prendrait volontiers pour les
fruits d’une récolte oubliée dans un coin de grange, mais aussi, comme son
titre l’indique, celle d’un défunt allongé, préparé, pour traverser les longues
ténèbres. Le raisin, le vin, la chair et le sang, un morceau de bois, la
branche d’une croix… Cette idée de
corps, simple carnation sensible que le métal n’a pas encore figé, pérennisé,
tient de la déposition et pourrait par une lecture plus biblique dire davantage
encore. Qui parle d’incarnation ?
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