David Hockney - William Turnbull
1 - Betty
Freeman
En janvier 2009, la presse américaine annonçait la disparition de Betty Freeman.
Si cette femme fut l’un des mécènes célèbres de Los Angeles, apportant
particulièrement son soutien à des musiciens comme John Cage, Terry Riley
ou Steve Reich… elle était aussi sensible aux réalisations de
Oldenburg, Lichtenstein, Stella, Flavin ou Francis, dont elle avait
rassemblé, durant une quarantaine d’années, plusieurs de leurs œuvres.
Suite à l’annonce, on apprenait qu’une vente aux enchères d’une grande partie de ses collections se tiendrait bientôt, vente qui, depuis, a eu lieu.
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Si
Betty Freeman est peut-être mieux connue, c’est notamment grâce au
portrait que David Hockney réalisa d’elle en 1967, posant debout en robe
rose, sur la terrasse de sa villa de Beverly Hills.
Inscrite
dans la série des grands portraits réalisés lors de son séjour en
Californie entre les années 60 et 70, cette peinture est pourtant
née « par hasard » aux dires du peintre Anglais. Invité dans la demeure,
et alors qu’il réalisait des photographies de la piscine, sujet qui à
l’époque retenait toute son attention, il prit aussi quelques clichés de
la propriétaire. C’est à partir de ces images qu’il entreprit de
peindre la toile.
Si le hasard n’est
sans doute pas pour grand-chose dans cette histoire, l’œuvre n’en est
pas moins considérée comme l’une des pièces majeures de l’artiste. Beverly Hills Housewife,
acrylique sur toile imposante par ses dimensions (183 cm x 366 cm) a
été peinte sur deux panneaux. Ce format allongé, quasi panoramique, fait
de toute évidence référence à la culture cinématographique, qui dans
cette ville peut prendre tout son sens, mais aussi aux tableaux de la
Renaissance Italienne, voire aux dispositifs de certaines fresques dans
une facture picturale qui se rapproche en partie de celle de Piero della
Francesca, pour qui Hockney a souvent manifesté son intérêt.
![]() |
David Hockney, Beverly Hills Housewife, 1967 |
Conformément
aux prises de vues initiales, la figure est présentée dans un décor
frontal assez glacé, combinant de grands aplats colorés et les écrans
réfléchissants des baies vitrées. Contrairement
à ce que j’ai pu lire, et malgré la source utilisée par le peintre, le
traitement de la figure, des objets ou du lieu ne sont pas réalistes
mais simplifiés. Ainsi les murs qui ont perdu toutes textures ou les
vitres qui
sont figurées comme on le ferait dans une bande dessinée, avec un
système de hachures blanches obliques. Le sol, la platebande de gazon et
le ciel sont ramenés au minimum de leurs représentations et seul quelques
éléments ont bénéficié d’un soin plus particulier, les motifs de zèbre
de la chaise longue « Le Corbusier » sur la gauche, le trophée
d’antilope accroché au mur, un petit bananier dépliant son feuillage,
une sculpture composée de trois éléments superposés et bien entendu la
figure droite dans sa robe rose. Et encore, à bien y regarder, seul le
visage contient quelques effets de modelés.
La
rigueur du tracé, la géométrie prononcée des volumes accentuent la
sensation théâtralisée de la posture de la figure et de la scène en
général. Si le carré de gauche comporte les signes d’une animalité
domestiquée, ou plutôt réduite aux éléments pseudos exotiques, le carré
de droite fait dialoguer, par leurs verticalités et leurs couleurs,
nature et représentation ou pour le dire autrement nature et culture
tous deux trouvant un écho (ou une réponse) en la personne de Betty
Freeman.

2 - Lama & Hero
Ce qui m’a conduit à évoquer Beverly Hills Housewife
de David Hockney vient en fait d’un problème qui ne relève pas à
proprement parler de la peinture, mais plutôt d’un embarras souvent
ressenti lorsque, ayant à décrire ce tableau à un public, je me limitais
à désigner l’objet, disposé à droite sur la terrasse de la villa, comme
étant une « sculpture moderne dans la veine des travaux d’un Hans Arp,
ou d’un Henry Moore…».


Il se trouve que l’œuvre de William Turnbull est présente dans une autre peinture de David Hockney. Il s’agit de Américan collectors,
autre portrait de cette période également très connu, qui représente le
couple Weisman, Frederick et Marcia, sur une terrasse, entouré de
quelques unes des pièces de leur collection. Réalisée deux ans après Beverly Hills Housewife,
cette composition reprend, en l’amplifiant, le dispositif de mise en
scène des figures, de l’architecture et des objets. On y retrouve la
rigueur spatiale et l’effet statique des personnages figures (ou
figurines ?) disposées un peu comme sur un échiquier.
Présentée
au premier plan de cette peinture se trouve donc une autre sculpture de
Turnbull, qui pourrait être l’une de celles de la série intitulée Hero (1958). Deux autres sculptures, l’une attribuée à Henry Moore, l’autre étant un totem amérindien, figurent également dans ce double portrait.
Par deux fois donc les sculptures de Turnbull ont été non seulement citées mais associées aux personnes représentées. Si Lama, opérait, comme je l’ai déjà souligné, une synthèse de l’espace et du personnage, le choix de Hero
pour Frederick Weisman n’est peut-être pas, comme le suggère le titre,
qu’à son avantage. En effet la pause de profil dans un costume sombre,
bras tendus le long du corps, poing serré, l’assimile, par l’ombre qui
se projette au sol dans l’axe de la sculpture à l’aspect strict et rude
de celle-ci (et primitive…).

La
toile qui se trouve aujourd’hui au Chicago Art Muséum ne semble pas
avoir été cependant la propriété de ceux à qui, en toute logique, elle
était destinée, c'est-à-dire ce couple de collectionneurs. La peinture
de Hockney n’aurait-elle pas séduit les personnes concernées ? Les
astuces (les ficelles) de construction dont a usé le peintre étaient-elles
si visibles qu’elles pouvaient être perçues comme offensantes? Car si
l’image, sous ses allures policées propose un couple loin d’exprimer une
réelle harmonie, (luxe, calme mais pas volupté... – et je ne peux ici
m’empêcher de songer à certaines scènes de Mon Oncle de Jacques Tati – le peintre, tout dandy qu’il est, semble bel et bien avoir tenté d’épingler ses modèles.
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Je
n’ai pas trouvé d’historique retraçant la ou les ventes du dit tableau
et je n’ai pas trouvé, non plus, dans les collections de monsieur ou
madame Weisman la trace d’une œuvre de Hockney, alors que dans le cas de
B. Freeman, elles existent en plusieurs exemplaires (peinture et
dessins). Malentendu, dédain de l’une ou l’autre des parties ? Ces
questions restent ouvertes.
Enfin,
une dernière question, plus inattendue, se pose. Partout j’ai pu lire
que le petit bronze féminin, reproduit par Hockney dans cette toile,
était de Henry Moore - et je reconnais moi-même l’avoir longtemps cru– cependant, cette figure, qui évoque le fameux couple King and Queen,
dont plusieurs tirages et différentes versions existent à travers le
monde n’a pas à ma connaissance été réalisée en séparant le roi de la
reine. Il s’agit peut-être d’une étude isolée, mais son absence dans les
nombreux catalogues que j’ai pu consulter me fait penser que, après
tout, cette pièce n’a sans doute jamais existé, et que le peintre, pour
une raison qui m’échappe en partie, a tout simplement choisi de l’inventer.
(article initialement publié sur appeau vert overblog en mai 2009 par ap)
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