Jeremy Liron
Landscape 52 - 2007
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Des
lieux anodins ou des cadres exceptionnels. Des espaces de vie ordinaire
ou de villégiature, des bâtiments connus et d’autres plus anonymes. Des
verticales érigées ou des courbes posées sur une esplanade d’herbe, des
façades entrevues en contrebas d’un talus, des volumes blancs, ou
oranges perçant de la végétation… Les sujets des peintures de Jérémy
Liron sont donc, à première vue, des bouts d’espaces urbains, présentant
des éléments d’habitat, plutôt isolés, extraits en partie du tissu des
villes auxquelles pourtant ils appartiennent. Ici une villa, là un
ensemble d’immeubles, une unité d’habitation radieuse ou les abords
d’une résidence luxueuse, un bâtiment administratif ou scolaire.
De
ces lieux, cependant, il est important de préciser qu’ils sont vides de
toute présence humaine immédiate, quoique manifestement habités, d’où
un certain sentiment d’étrangeté, de distance ou de décalage. Ce choix
de ne proposer que les bâtiments, sans leurs occupants, leurs usagers ou
leurs propriétaires, retire, dans un sens, la relation au temps ou au
geste, c'est-à-dire l’idée même d’un mouvement. Ces maisons sont là,
telles des décors, en attente d’un évènement.
On
pourrait d’ailleurs penser, en regardant rapidement quelques uns de ses
accrochages d‘exposition, qui disposent côte à côte ces différents
lieux, à ces images suspendues dans les vitrines d’agences immobilières
ou à une présentation de projets d’architectures dans un
cabinet d’étude. Ce sentiment s’efface pourtant assez vite lorsque l’on
considère d’une part les dimensions réelles des formats (124 x124 cm
pour les toiles) et d’autre part le fait qu’il s’agit de peinture et non
d’esquisses. Enfin, à les observer plus en détail, on peut y percevoir
différentes préoccupations graphiques qui ne sont ni aussi triviales, ni
aussi uniformes qu’elles n’y paraissent au premier abord.
Landscape 50, 18, 60, 46 - (2006-2008) |
Il
faut pour cela être attentif d’une part aux dates de réalisation de ces
peintures et d’autres part aux lieux représentés ; pour voir apparaître
les sous séries qui composent cet ensemble, et les variations qui
l’animent. Les peintures de 2004 - 2005 semblent tournées vers les
espaces périurbain, lieux intermédiaires, zones de friches chaotiques où
l’habitat côtoie les terrains vagues. Ce n’est donc pas la ville dans
son flux ou ses activités qui intéresse Jérémy Liron mais sa périphérie,
ses marges. En 2006, sous une lumière plus méditerranéenne, plus crue,
l’exploration se poursuit avec ce même souci, quoique plus prononcé
(escarpé) à mon sens, d’une insertion de la ligne du bâti dans un
milieux végétal plus noueux. Plus récemment en 2007-2008 on peut
observer d’une part un choix des points de vue plus abstraits et,
d’autre part, une plus grande géométrisation des éléments représentés.
Ce glissement, ou cet enchaînement de phases est tout aussi sensible
dans la ligne et dans la facture picturale.
[…]
De
toute évidence, au départ de ce travail de peinture, il y a la prise de
vue photographique, comme moyen d’enregistrement des lieux ou des
ambiances. Le cliché comme mémoire du passage, le prélèvement d’indices
ou de situations, témoignant du regard du marcheur arpentant les rues,
les parcs, et les contre-allées. Un travail de repérage. Puis, dans ces
suites d’images (ce matériel initial que j’imagine assez important) il y
a le tri et le choix d’un angle particulier et enfin le recadrage (du
rectangle au carré) mettant en évidence l’importance du sujet choisi. Le
processus de départ n’est donc pas anodin puisqu’il confie à l’œil
mécanique la possibilité d’un cadrage préalable, d’un angle de prise de
vue. A ce stade l’image qui va servir de modèle est donc déjà en grande
partie déterminée, construite.
Dans
certains cas (peut-être dans tous ?) l’agrandissement du cliché
d’origine passe par la mise au carreau pour asseoir la composition et
modifier par le dessin (ou par des retouches - voire l’ajout ou le
retrait - certains détails, éloignant encore davantage le sujet retenu
de sa nature objective. La peinture agit enfin comme une couverture
fluide, aplatissant tantôt la matière minérale ou végétale, écrasant la
grande profondeur, accentuant les jeux de lumières des volumes au
détriment de celle d’un arbre, d’une pelouse ou d’une montagne…ou
l’inverse, matérialisant ainsi, dans tous les cas, une autre consistance
des éléments présents dans la structure photographique.
Disons, pour dire les choses simplement, que la peinture ouvre le champ de la métamorphose, sinon celui de la métaphore.
Landscape 15 - 2005
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Dans
un sens, les figures représentées dans les tableaux de Jérémy Liron,
plutôt que de simples constats ou de simples relevés géographiques, ou
topographiques - même si le rendu en est assez rigoureux et localisé -,
relèvent davantage de l’idée du surgissement. Surgissements de l’angle
dur ou du plan lisse d’un mur entre le bleu opaque d’un ciel et le vert
flottant d’un horizon, surgissement ou irruption dans l’écran végétal
d’une courbe aussitôt absorbée, apparition parfois, au détour d’un pan
de mur, ou derrière la verticale d’un tronc d’une petite construction
fragile et frustre.
Certaines peintures évoquent d’ailleurs des situations d’embuscades,
depuis le rebord d’une fenêtre, d’un balcon, ou à l’abri d’une futaie.
D’autres, au contraire, très frontales, déplacent cependant l’objet architectural vers l’arrière plan, donnant toute possibilité à la nature (pourtant domestiquée) de prendre le dessus.
En
regardant l’ensemble des peintures et des dessins, il me semble
d’ailleurs que cette question du point de vue s’est sensiblement
accentuée depuis les toutes premières images, déplaçant progressivement
le statut d’un observateur scrupuleux mais distant au passant attentif
mais rêveur - ceci n’est qu’une impression bien sûr ! – Il n’y a pas de
contemplation dans ces paysages, ni même sans doute la volonté de
restituer la perception immédiate de ces lieux, mais bien davantage la
reconstruction d’une mémoire sensible, presque tactile d’un espace qui
cristallise autre chose que le regard.
Dans
les travaux de Jérémy Liron, ce n’est finalement pas tant l’immeuble,
en tant que tel, qui retient l’attention mais c’est (pour moi) davantage
sa relation au contexte. L’objet apparaît, surgit, vient, entre le vert
et le bleu, sort du fouillis végétal, où se découpe contre la plaque le
ciel. L’objet se découvre dans le tissu contradictoire de l’herbe, du
feuillage, des troncs, des grillages, et des palissades. Il se détache,
s’y enroule et parfois s’y perd.
[…]
Landscape 54 - 2008
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Bien que relevant de la catégorie du paysage (les œuvres ont pour titre générique Landscape),
ces peintures sont peut-être aussi et d’abord des sortes de portraits.
On peut regarder des maisons comme on dévisage quelqu’un. L’arête d’un
nez ou d’un mur, le plat du front ou du tympan, l’œil d’une fenêtre qui
vous regarde, la bouche d’ombre béante d’une autre ouverture. Dévisager
les murs pour leurs étranges familiarités, leurs étranges ressemblances
avec les figures et les visages des inconnus qui les habitent. Les
regarder en face, en façade ou de profil, de biais, à la dérobée, à
l’affût. Dévisager ou envisager ces lieux ordinaires ou familiers, même à
couvert, sous l’ombre des pins, comme on le ferait avec une personne.
Se dire « c’est-elle », ou « c’est lui ! » : la reconnaître (ou presque)
et se demander si on ne l’a pas déjà vue, déjà croisée sur sa route.
Tourner
la tête au passage…Garder le sentiment vif de l’arrondi des moellons de
pierres sur la corniche, la fraîcheur maritime d’un pin qui étend son
parasol, la chaleur étouffante bétonnant le goudron d’un parking à midi,
le piaillement des enfants sous la tente des draps multicolores qui
sèchent sur la terrasse… S’asseoir sur un banc, au pied de l’immeuble,
laisser aller son regard dans la scansion des bandes rouges qui
descendent en paliers réguliers de la façade et voir soudain surgir au
dernier niveau le souvenir de Rothko.
[…]
(article initialement publié sur appeau vert overblog le
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