Raymond Depardon
(notes sur La vie Moderne)
« Au commencement, il y a ces routes. Au bout de ces routes, il y a des fermes. ». Des routes qui relient des hommes. Des routes
escarpées et sinueuses, s’accrochant aux plateaux, traversant les
champs, sillonnant les bois, courant les vallons encaissés. Eté comme
hiver.
Ces
hommes et ces femmes, qui vivent dans ces endroits reculés, sont des
paysans. Ils ont donné figure au pays et aux paysages. Ils y travaillent
et y vivent encore. Certains d’entre eux, Raymond Depardon les connait
depuis longtemps, pour les avoir déjà approché dans ses deux
documentaires précédents (L'Approche 2001 et Le Quotidien 2005), d’autres, il les rencontre pour la première fois. La vie moderne
se présente donc comme une suite de portraits de ces personnes, reliée
par ces routes qu’emprunte Raymond Depardon pour leur rendre visite.
Assis dans leur
cuisine ou montrés dans le quotidien des gestes, jeunes ou vieux, ils
témoignent avec leurs mots, ou par leurs silences, de ce qu’ils
ressentent, vivent et envisagent aujourd’hui. Le monde rural a changé :
ces petites exploitations se meurent avec leurs propriétaires. Ceux qui
prennent la relève (ou tentent de la prendre) doivent faire face à des
mutations et à des changements de rythmes, de modes ou de philosophie
qu’impose le monde moderne. Ce qui était n’est plus et la transition ne
se fait pas sans douleurs ni sans renoncements.
Pourtant, le film de Depardon ne se présente pas comme un plaidoyer. Il ne commente pas cet état de fait mais se contente d’en prendre acte. Depardon écoute et donne la parole à ceux qui ont aménagé et façonné le profil de ces terres. Avec amitié et attention, il les questionne. Les réponses
ne viennent pas toujours ou pas directement. Les visages filmés dans la
durée (comme les routes parcourues) finissent parfois par livrer, par
bribes, ce que les mots restent impuissants à dire. « La
grande singularité du cinéma de Depardon, qui le distingue radicalement
de tous les cinéastes documentaristes, est l’étrange nature, très
personnelle et complexe, d’une incroyable intelligence intuitive, de son
rapport au réel.» écrit Alain Bergala,
avant d’ajouter : « La saisie du réel, chez lui, ne dépend pas de la
réussite de la rencontre.
Au contraire, c’est souvent quand cette
rencontre est ratée que surgit dans le film pour le spectateur,
la pointe la plus vive du réel. […] A partir du réel, dont il a un
impérieux besoin pour passer à l’acte de filmer, Depardon ne cesse
d’élaborer du mythe et de l’autoportrait imaginaire. Mythe du désert,
mythe de la campagne, mythe de sa propre biographie de créateur, mythe
amoureux. La dimension mythique, cependant, ne se construit jamais aux
dépens du réel, ni en trichant le moins du monde avec lui, elle s’y
superpose mentalement sans en affecter la saisie brute. » et de
conclure : « un film de Depardon peut être à la fois le plus objectif
des documentaires (sur un état précis, en 2007, du monde paysan) et la
plus intime des confessions sur un moment de sa propre vie et de son
propre mythe d’homme et de créateur. »
(article initialement publié sur appeau vert overblog, le 06.11.2008 par ap)
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