jeudi 22 décembre 2016

Le temps retrouvé

Alain Collard

« Que je revoie une chose d’un autre temps, c’est un autre jeune homme qui se lèvera. Et ma personne d’aujourd’hui n’est qu’une carrière abandonnée, qui croit que tout ce qu’elle contient est pareil et monotone, mais d’où chaque souvenir, comme un sculpteur de Grèce, tire des statues innombrables. » Marcel Proust – Le temps retrouvé.  temps retrouvé


Alain Collard est un photographe discret qui se tient en marge des bruits du monde. Ces images sont rares, autant que ses mots. Aussi, autant le dire tout de suite, ces photographies ne contiennent pas ce parfum obligé de spectaculaire, (ou de scandale) que l’on se plait commodément à accrocher à la photographie dite contemporaine. D’aucuns pourraient même être tentés d’y trouver un côté désuet, ne serait-ce que par les sujets qu’elles abordent : des bouquet de fleurs, des paysages, l’ombre fraîche d’une petite église de campagne, des nus, ou de simples objets… et rien, de ce qui fait habituellement le succès des faiseurs de sensations fortes, n’agite ce travail. Ici, pas d’excès, pas de coups d’éclat, pas de faux semblants, Ainsi, les amateurs d’apparences fortes en seront pour leurs frais.


Pourtant, Alain Collard ne s’interdit aucun procédé, ni aucune façon d’entreprendre ses sujets. La série des Robes relève ainsi, sans ambiguïté, d’une mise en scène de l’objet suggérant, en creux, la propriétaire de ce vêtement. La danse des cuivrés de ses Nus fantomatiques, qui sourdent du rectangle d’ombre, évoque quelques idoles orientales. Les motifs du Jardin secret, qui nous plongent littéralement au cœur de l’exubérance végétale, jouent évidemment de la métaphore : le plissé d’une corolle, le mousseux d’une couronne de pétales, la courbe lascive d’un pistil,… contiennent, à n’en pas douter, autant de correspondances avec la jardinière qui en prit soin. Les flaques de lumière qui ruissèlent sur les dalles, caressent les parois de pierre, ou détachent de l’obscurité fraîche le bois vermoulu des marches de l’autel de l’Eglise de St Remy, traduisent cette douceur et cette délicatesse du regard, la même d’ailleurs que l’on retrouve sur les feuilles de papier quadrillée des fragments de lettres de La Séparation. Les sténopés du Lieu, indiquent une volonté minimale de restituer, par la prise de vue, un paysage désigné par un tiers.

Les travaux d’Alain Collard sont constitués de séries ou de suites d’images. Certaines sont construites sur le sujet (La Robe, Les Chaussures, Le Jardin secret), d’autres le sont sur le principe ou le choix opératoire (Le lieu, Nus), d’autres encore par le mode d’investigation (La Séparition, L’église de Saint Remy), mais toutes ne relèvent pas d’une même homogénéité, ou d’une volonté de faire système. Tantôt le sujet impose son ordre - Les Robes utilisent par exemple un dispositif scénique identique d’association…- , tantôt c’est le procédé de prise de vue qui est commun - les tirages du Jardin secret, réalisés à partir de prises de vue polaroid, conservent, en marge, les franges du décollage de la gélatine… - . Somme toute, on pourrait dire que chaque série définie ses règles par nécessité et non par volonté d’esthétisme. Les séries sont, ici, des ensembles (ou des propositions) abordant une question spécifique. Cette question initiale, cette interrogation (souvent intime) définit un parti pris et induit l’aspect formel ou le choix de prise de vue. Autrement dit, c’est le sujet qui conditionne la suite d’images réalisées.


Car les photographies d'Alain Collard, ne prennent pas en charge l'évènementiel, mais reconstruisent l'évènement : en ce sens, elles sont donc préméditées. La prise de vue n’intervient pas pour prendre acte d'un souvenir, d'une relation ou d'un état, mais peut-être davantage pour comprendre (mesurer ?) les mécanismes profonds que celle-ci met en branle dans la pensée.

Plus que des jalons ou des témoins, ces photographies, tout en donnant à voir des lieux, des objets, des choses ou des êtres, pourraient bien être des autoportraits en coin (mais sans biais), qui abordent discrètement les thèmes de la filiation, l'héritage, l'identité, le don, la mort, l'absence, le secret, la sexualité...

«Dans la Grèce antique, la Mémoire, mère de toutes les muses, était très intiment associée à la poésie. Forme narrative, la poésie était alors un inventaire du monde visible : elle créait ses métaphores à partir de correspondances visuelles. Une photographie est plus simple que la plupart des souvenirs ; aussi son champ est-il plus limité. Cependant, avec son invention, nous avons acquis le moyen d’expression dont le fonctionnement est le plus directement comparable avec celui de la mémoire. La muse de la photographie n’est pas fille de la Mémoire, elle est la démarche même de la mémoire. […] Photographie et souvenir traquent des instants de révélation, car seuls de tels instants valorisent pleinement leur capacité à s’opposer au flux du temps. » 
notait ainsi John Berger, dans l’un de ses textes(*) consacré à la photographie.


On ne regarde pas une de ces images pour ce qu’elle désigne ou présente, mais plutôt pour ce qu’elle retranscrit, dans sa chair photographique, d’un questionnement intime qui, au delà de l’histoire personnelle, nous renvoie d’abord à nos propres histoires.

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* - John Berger et Jean Mohr, Une autre façon de raconter, Ed. François Maspero, Paris, 1981 
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(article initialement publié dans appeau vert overblog le 29 03 2008, par ap, à l'occasion de l'exposition
Alain Collard  Le temps retrouvé 10 03 au 25 04 2008, IIUFM de Chaumont (52) - )



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